Il aura fallu la fermeture des frontières et le confinement de milliards d’individus pour que le mot « local », démonétisé par des décennies de mondialisation, fasse un retour en force dans nos vies et dans le discours politico-économique ambiant. Il aura fallu cette chose inouïe – ni plus ni moins que la mise à l’arrêt de la production mondiale – pour qu’il ne paraisse plus ni incongru ni rétrograde de parler ouvertement de relocalisation d’activités et de production locale, au nom d’une souveraineté à reconquérir.
La revanche du local aura-t-elle lieu pour autant ? On ne peut en jurer, tant il y a à l’œuvre de forces contraires. Mais il y a au moins deux domaines où la leçon a d’ores et déjà été trop rude pour que le « monde d’après », qui se rêve résilient, n’en retienne rien :
Cette crise, qui a désorganisé le
Cette folie, voilà longtemps qu’ils cherchent à y échapper ! Marqués par les anciens scandales de la vache folle et des lasagnes au cheval, informés par d’innombrables enquêtes sur les dessous et les ravages de la malbouffe, sensibilisés aux enjeux environnementaux et au bien-être animal, les consommateurs ont entamé depuis près de deux décennies la reconquête de leur assiette. La preuve : en tendance longue, ils se détournent, lentement mais inexorablement, de la
Force est cependant de constater que l’imaginaire alimentaire a changé plus vite que les comportements réels, car c’est toujours dans les hyper et supermarchés des grandes enseignes que les Français font la majorité de leurs achats alimentaires (83% en 2017, dont 10% chez les hard discounters – source FranceAgriMer 2018). Les aspirations alimentaires ont surtout changé plus vite et dans le sens inverse du système agroalimentaire mondialisé qui, s’il est décrié aujourd’hui, a néanmoins permis à partir des années 1960 de garantir aux Occidentaux l’accès permanent à une nourriture abondante et bon marché. La contrepartie : des productions agricoles intensives dopées aux intrants, déconnectées des besoins locaux, cotées sur des marchés de matières premières mondiaux et ayant pour débouché une industrie agroalimentaire planétaire réalisant des économies d’échelles phénoménales.
Les résultats ont été au rendez-vous : en France par exemple, la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passée de 21% en 1968 à seulement 13% en 2014 (Insee via Le Monde). Cette baisse (- 61,9%) a boosté pendant des années la consommation dans d’autres secteurs mais, avec un modèle de production et de distribution ne tenant que par les prix bas, a eu des conséquences plutôt fâcheuses, tant pour la planète et le climat que pour le contenu de nos assiettes :
Nous avons cru remporter une victoire définitive en affranchissant notre alimentation des territoires, des saisons, des aléas climatiques, des mauvaises récoltes. Si l’abondance a été au rendez-vous, c’est au prix d’une empreinte écologique catastrophique et d’une dépendance croissante à des flux logistiques dont la rupture brutale laisserait à une ville comme Paris 3 jours d’autonomie alimentaire.
En 2017, le cabinet Utopies a publié une étude passionnante évaluant à seulement 2% le degré d’autonomie alimentaires moyen des 100 premières aires urbaines françaises. Cela signifie que 98% des produits alimentaires (bruts, élaborés, transformés ou cuisinés) consommés par les ménages ne viennent pas de leur bassin de vie. « Et la raison n’est aucunement une carence de production alimentaire sur les territoires en question, puisque dans le même temps, 97% de l’agriculture locale des 100 premières aires urbaines finit dans des produits alimentaires consommés à l’extérieur du territoire… ». C’est dire si l’on part de loin et s’il faudra du temps pour modifier les innombrables paramètres ayant conduit à de tels déséquilibres.
A l’heure où un nombre croissant de territoires, tant ruraux qu’urbains, affichent la volonté d’accroître leur autonomie alimentaire, les plus avancés dans ce domaine savent que la route est non seulement longue, mais aussi ingrate et compliquée... Comme le montre le remarquable guide publié par l’association Les Greniers d’abondance, transformer le système alimentaire d’un territoire en vue d’une plus grande résilience implique en effet de :
Le tout, de front et en veillant à minimiser et à optimiser les flux de transport entre tous les points de production, de distribution et de consommation du territoire.
Avec le choc planétaire causé par ce virus, au moment où des populations urbaines fragilisées se retrouvent en état de précarité alimentaire, avoir accès à une alimentation locale n’apparaît plus seulement comme désirable, mais comme une nécessité, aussi bien pour les collectivités que pour les individus. Si tout le monde s’est félicité de voir producteurs, artisans, entreprises agroalimentaires, commerce de proximité, supermarchés et transporteurs se mobiliser au plus près du terrain pour trouver des solutions, les efforts pour rapprocher durablement l’offre et la demande locales doivent être intensifiés et la recherche dans ce domaine encouragée.
La (re)construction de systèmes alimentaires locaux, réarticulant les capacités productives et les besoins de chaque territoire, impose à toutes les parties prenantes de renouer avec la géographie afin de travailler avec elle, et non contre elle. De la compréhension des flux existants à l’étude d’implantation de nouvelles infrastructures, en passant par la restauration des sols et l’optimisation des circuits de distribution, la prise en compte de la dimension géographique est un facteur clé de pertinence des décisions et de réussite des projets territoriaux.
C’est dans cette optique que GEOCONCEPT est partenaire du projet de recherche PICORA (Pratiques Inclusives de COnsommation Régionale Alimentaire) de l’Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC). Ce projet a pour objectif d’établir un diagnostic des dispositifs d’offre alimentaire locale et de les mettre en regard des pratiques de consommation des habitants afin d’identifier les leviers permettant de faire de l’alimentation locale une pratique inclusive en zone urbaine. Pour son exploration des pratiques et l’étude de leur inscription sur le territoire, l’équipe de recherche s’appuiera notamment sur nos solutions