Blog GEOCONCEPT

Heurs et malheurs de la livraison à domicile en temps de crise

Rédigé par Alexis Berger | 26 mai 2020 07:06:58

Les mesures sanitaires de ces 12 dernières semaines ont modifié significativement les comportements d’achat des consommateurs. Ces changements sont-ils durables ? Il est encore trop tôt pour le dire. Plutôt que de tirer des conclusions hâtives, nous vous proposons un tour d’horizon de ce qui s’est passé durant la période de confinement où la livraison à domicile a joué un rôle central – et même vital – tant pour les consommateurs que pour les acteurs du retail.

Le boom du e-commerce alimentaire

Fortement contraints dans leurs déplacements, sans visibilité sur la durée du confinement et sur l’impact de la crise sur leur pouvoir d’achat, les Français se sont pour la plupart limités aux achats essentiels – c’est-à-dire aux produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien de base. S’ils ont largement privilégié les circuits de proximité pour ces achats, ils sont également très nombreux à s’être tournés vers le e-commerce, notamment vers les sites des enseignes de :

  • Kantar estime que l’e-commerce a recruté 2,5 millions de nouveaux clients dès la première semaine de confinement, dont une proportion significative de seniors (500 000 selon Nielsen) qui n’avaient jusque-là jamais rien commandé en ligne.
  • Sur le segment des produits de grande consommation / frais libre-service (PGC-FLS), la part des ventes en ligne a dépassé les 10% pendant le confinement, contre une moyenne annuelle de 5,7% en 2019 (Nielsen).

Hausse générale de la demande de livraison

Compte tenu des risques sanitaires et des restrictions de déplacements, la possibilité de se faire livrer à domicile ou de retirer ses achats alimentaires au drive du supermarché où l’on a ses habitudes a évidemment été décisive, pour les nouveaux e-acheteurs comme pour les habitués. Les ont donc dû faire face en très peu de temps à un afflux de commandes en ligne, non sans embouteillages… Pour absorber le pic de fréquentation de son site et éviter que ses clients ne se découragent, Casino a dû mettre en place une file d’attente virtuelle affichant le temps d’attente avant la possibilité d’accéder à la page « constitution du panier ».

Quoi qu’il en soit, le report des clients vers les sites marchands des enseignes a permis à ces dernières de compenser la baisse de fréquentation des magasins. C’est d’autant plus vrai que la fermeture de toutes les structures de restauration collective et la nécessité d’assurer 2 repas familiaux par jour a eu pour conséquence une croissance du panier moyen de 89% (IRI via Le Point)

Si le drive a été le grand gagnant de la période de confinement, captant jusqu’à 80% de la croissance du e-commerce généraliste (Nielsen), les livraisons de courses et paniers alimentaires à domicile ont, elles aussi, explosé. Par exemple :

Le casse-tête des créneaux de livraison alimentaires

L’augmentation brutale de la demande s’est traduite pour toutes les enseignes alimentaires par des difficultés d’adaptation qui ont eu un impact négatif sur les délais de livraison et l’expérience des consommateurs.

  • La préparation des commandes a été ralentie, faute de personnel suffisant et du fait des mesures de distanciation à mettre en œuvre au sein des entrepôts/magasins pour assurer la sécurité des préparateurs. Elle a également été compliquée par l’indisponibilité persistante de certaines références et la difficulté à proposer des produits de remplacement.
  • Les délais de livraison ont été considérablement allongés. Les premières semaines, en drive comme à domicile, les délais sont passés à plus de 3 jours (jusqu’à 5,5 en drive selon le baromètre Foxintelligence), ce qui n’a pas empêché tout créneau ouvert d’être immédiatement pris d’assaut : « Ce que nous avons constaté, c’est que les créneaux de livraison restent disponibles environ 5 secondes sur notre site e-commerce » indique Monoprix.
  • Des solutions pas toujours optimales… Certains sites de la grande distribution alimentaire ont été conduits à suspendre ponctuellement les prises de commandes voire pour honorer les commandes déjà passées et rétablir la situation. La solution adoptée par Houra.fr (filiale online de Cora), par exemple, consiste à suivre en temps réel le calendrier de livraisons sur les 7 prochains jours pour chaque code postal desservi par le site. Si tous les créneaux d'un code postal sont saturés, la prise de commandes est automatiquement fermée, puis rouverte dès que de nouveaux créneaux sont disponibles.

De notre point de vue, le code postal n’est pas le critère le plus pertinent pour en période de surcharge. L’enseigne aurait sans doute gagné en capacité de livraison en se fondant sur la  à l’adresse des clients à livrer. Elle aurait ainsi pu établir des plannings de livraison plus denses, privilégiant la proximité réelle entre les adresses à livrer plutôt que leur appartenance à une entité purement administrative. Cela aurait certes modifié les habitudes des livreurs et sans doute augmenté le nombre de kilomètres parcourus par chacun. Mais, compte tenu 1/ de l’exceptionnelle fluidité de la circulation pendant toute la période de confinement et 2/ de la présence quasi assurée de tous les clients à leur domicile, le bénéfice aurait été pour chaque livreur/véhicule de pouvoir livrer un plus grand nombre de clients par tournée.

La clé de l’optimisation en temps de crise est d’être capable de modifier rapidement les paramètres habituels de calcul des tournées – tout simplement parce que les priorités, les ressources disponibles et les conditions d’exécution changent. C’est précisément ce que  permettent aux retailers et à leurs partenaires logistiques de faire.

Hors alimentaire, plus de livraisons gratuites, mais des délais plus longs…

L’allongement des délais n’a pas concerné que le retail alimentaire. Tous les sites marchands (pureplayers ou non) ainsi que leurs prestataires logistiques ont revu leurs délais de livraison à la hausse et ce dès le début du confinement et malgré un recul très sensible des ventes. Cela s’explique notamment par la fermeture des commerces « non essentiels » servant habituellement de point de retrait (Mondial Relay et Relais Colis) et, pour les marques adossées à un réseau physique, de click-and-collect.

Proposer a été pour tous ces sites le seul moyen de maintenir leur activité, mais cela a surchargé les prestataires soumis, eux aussi, à des mesures sanitaires exigeantes – d’où l’allongement des délais et, sur des offres emblématiques comme Colissimo et Chronopost, la suspension des garanties habituelles.

L’enquête réalisée par la Fevad entre le 23 et le 25 mars 2020 auprès de 136 sites de e-commerce en France, fait état d’une logistique très perturbée, aussi bien dans les entrepôts que chez les prestataires logistiques. Conséquences :

  • 85% des sites ont allongé leurs délais de livraison.
  • 1 site sur 3 propose la gratuité ou des frais réduits pour la livraison des commandes à domicile, mesure coûteuse mais visant à compenser la livraison gratuite ou à prix réduit en point relais/clic-and-collect qui séduit toujours plus de clients.
  • La majorité des sites a allongé le délai de rétractation et porté à 30 jours voire 60 la possibilité de retourner les produits, contre 14 jours en temps normal, afin de tenir compte des limitations de déplacements.

Dans une deuxième enquête de la Fevad réalisée fin avril, 41% des sites interrogés notent une amélioration de la situation dans les entrepôts, mais 36,5% indiquent une dégradation des conditions et délais de livraison alors que leur activité est repartie à la hausse.

Et maintenant ?

Le confinement a pris fin, mais le retour à la normale sera lent – et d’autant plus que, derrière la fin de la crise sanitaire, se profile une crise économique que tous les observateurs qualifient déjà de « majeure ». Les Français vont-ils reprendre le chemin des magasins pour dépenser les 55 à 60 milliards qu’ils ont économisés, contraints et forcés, pendant le confinement ? Se sont-ils habitués à consommer moins ? Ceux qui ont découvert le confort des courses en ligne et de vont-ils déserter les grandes surfaces alimentaires ? Ceux qui se sont tournés vers les circuits alimentaires alternatifs vont-ils leur rester fidèles ? Sont-ils prêts à accepter des délais de livraison de plusieurs jours alors que 24 heures était un maximum avant la crise ?

Bien malin qui pourrait répondre à ces questions…

Interrogé par Le Figaro, Philippe Moatti, économiste et coprésident de l'Observatoire société et consommation (Obsoco) estime que « ce qui a le plus de chances de perdurer, ce sont les tendances entretenues par le contexte de la crise sanitaire, notamment les idéologies écologiques dont la dynamique est montée bien avant le confinement. Pour une fraction de la population, le confinement a encouragé à aller plus loin dans cette trajectoire déjà amorcée : remettre la consommation à sa place, consommer moins mais mieux, et plus intelligemment. »

Même si cela ne concerne qu’ « une fraction de la population », cette dernière phrase nous paraît de bon augure et représente, pour les acteurs du retail et de la logistique, bien des défis que nous sommes en mesure de les aider à relever.