La relance du fret ferroviaire est on ne peut plus d’actualité. Mais le train ne résout en rien le problème du dernier kilomètre, maillon le plus cher et le plus polluant de la chaîne logistique
Le 27 juillet 2020, le Premier ministre annonçait un plan de redynamisation du fret ferroviaire et en dévoilait les premières orientations : gratuité des péages sur les sillons de trains de marchandises jusqu’à la fin de l’année (à titre incitatif) ; division par 2 du prix actuel de ces péages en 2021 ; développement prioritaires des « autoroutes ferroviaires » Bayonne-Cherbourg, Sète-Calais et Perpignan-Rungis, cette dernière devant à terme s’intégrer dans une ligne allant d’Anvers à Barcelone. La volonté de redonner une place au train dans la logistique française est donc clairement affichée. Mais l’ambition de doubler la part du train dans le transport de marchandises d’ici 2030, justifiée par l’
Le rail représente aujourd’hui 9% du transport de marchandises en France. Le doublement de cette part en 10 ans permettrait de revenir à la moyenne européenne actuelle (18%). Sachant que l’objectif de la Commission européenne est de porter la part du train à 30% d’ici 2030, la France, avec ses 18%, ne ferait toujours pas partie des « bons élèves ». Il faut souligner que la moyenne actuelle masque de très grandes disparités entre les pays, puisque la part du ferroviaire va de 75% en Lettonie à zéro pourcent dans des pays dépourvus de réseau ferroviaire comme Malte et Chypre. En Allemagne, plus comparable à la France que ces « petits pays », la part du fret ferroviaire est de 18%, son recul par rapport à la route ayant été enrayé par une politique volontariste engagée dès 2013. L’Autriche et la Suisse, qui ont pris des mesures en faveur du transport combiné accompagné (ferroutage) depuis plusieurs décennies, sont respectivement à 32% et 35%.
Mais comment expliquer qu’en France, pays de forte tradition ferroviaire, la part du train dans le fret soit passée de 45% en 1974 à 9% en 2019 ? Entre 2003 et 2018, malgré les plans de relance du fret ferroviaire de 2000 et 2009, elle a chuté de 33%.
Tous les articles publiés à l’occasion des annonces gouvernementales fournissent peu ou prou la même explication : le fret ferroviaire n’a cessé de reculer parce que – depuis 30 ans, voire 40 – la priorité politique a systématiquement été donnée, d’une part, aux liaisons ‘voyageurs’ rentables (TGV) et, d’autre part, au transport routier (autoroutes). Résultat : un sous-investissement chronique dans le fret ; des infrastructures insuffisantes en nombre, vieillissantes et, in fine, peu fiables ; et, conséquence factuelle et quasi rédhibitoire pour les opérateurs et les chargeurs, des retards récurrents dus à un manque de protection des sillons horaires dévolus aux trains de marchandises.
Ni la fiabilité ni la ponctualité n’étant au rendez-vous sur les rails français, la route s’est, en toute logique, taillé la part du lion et ce, d’autant plus facilement que le transport en camion est infiniment plus flexible et qu’une féroce concurrence entre les transporteurs tire les prix vers le bas. Les deux plans de relance précédents n’ayant pas inversé ces tendances, on comprend que celui qui vient d’être annoncé soit accueilli avec un certain scepticisme par les acteurs de la filière…
Aujourd’hui, la route apparaît donc plus compétitive que le fer pour le transport de la plupart des marchandises. Cela reste vrai, en France comme ailleurs, tant que l’on ne donne pas tout leur poids aux paramètres sociaux et écologiques. Le cadre européen interdisant toute entrave à la libre concurrence, le dumping social qui règne dans le transport routier n’est pas près de disparaître. Reste l’argument écologique, qui donne au train un avantage significatif, tant pour le transport de marchandises que pour le transport de personnes.
Que ce soit en termes de consommation d’énergies ou d’émissions de GES et de polluants, le bilan écologique du fret ferroviaire est incontestablement beaucoup plus satisfaisant que celui du transport routier. Tous modes confondus, le transport de fret consomme environ 16 Mtep/an, à plus de 97% sous forme de diesel en raison de la prédominance des poids lourds et des motorisations thermiques. Cette consommation d’énergie génère 44 MtCO2eq/an, soit environ 9% des émissions de CO2 nationales (hors DOM-TOM). Les poids lourds et les utilitaires légers comptent respectivement pour 50% et 48% dans ce total et le ferroviaire seulement pour 1% (Source The Shift Project/Datalab).
Dans son rapport remis au gouvernement le 25 juin 2020, l’Alliance 4F, qui réunit les acteurs du fret ferroviaire en France, estime que le doublement de la part du rail éviterait l’émission de 8 millions de tonnes de CO2 par an à partir de 2030. Partant du principe qu’un train de marchandises décharge la route d’environ 40 camions, l’effet en chaîne serait vite très sensible sur la décongestion du trafic, l’amélioration de l’efficacité économique et la qualité de vie. « La France relèverait ainsi le défi du réchauffement climatique, en ligne avec l’Accord de Paris, le Green Deal européen et les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat. »
Au vu de ces données, basculer une partie du fret routier vers le rail apparaît donc comme une solution éminemment souhaitable pour réduire tant la consommation d’énergies fossiles que les émissions de CO2. Malheureusement, cela ne se fera pas en un claquement de doigts : d’une part, les investissements à consentir sont lourds et seront nécessairement très étalés dans le temps ; d’autre part, le train n’est évidemment pas la réponse optimale pour toutes les catégories marchandises ; enfin, même si tout le monde plaide la complémentarité entre les différents modes de transport, les acteurs de la route entendent bien défendre leurs intérêts…
D’où les propos d’un professionnel du transport routier comme Luc Nadal, CEO de GEFCO(1) : « Le ferroviaire a un avenir pour le transport de quantités extrêmement importantes de marchandises massives. Il est pertinent là où on peut avoir du transport combiné sur des axes massifs pour lesquels on a la certitude de remplir le train dans les deux sens. Mais ne faisons pas croire à la collectivité nationale que le ferroviaire va pouvoir reprendre une part de marché à la route. Dans les conditions actuelles, c’est non. Laissons au ferroviaire l’espace où il est véritablement compétitif : pour évacuer des conteneurs en masse à partir d’un port, transporter des céréales de la Beauce vers les ports, là c’est parfait. Pour le reste, il nous faut trouver d’autres solutions en utilisant notre remarquable réseau autoroutier et en rendant le transport routier propre et sûr. »
En d’autres termes, le train ne serait une option viable que pour les marchandises destinées à l’export au départ des grands centres de production agricoles ou industriels, ou ne faisant que transiter par notre pays. Cette vision est difficilement compatible avec l’objectif européen de porter la part du fret ferroviaire à 30% d’ici 2030, de même qu’avec le projet porté par 4F, dont s’inspire largement le plan gouvernemental. Celui-ci prévoit en effet le triplement du transport combiné rail-route (21,2% du fret ferroviaire aujourd’hui) et une augmentation de 50% des transports de fret conventionnels (c’est-à-dire ni en conteneurs ni par des véhicules routiers embarqués sur des trains). Autant dire qu’en l’absence de taxe carbone frappant les transporteurs routiers, ou de subventions massives favorisant le ferroviaire, la route a de fortes chances de rester la voie royale pour toutes les marchandises devant être dispatchées sur l’ensemble du territoire. On pense en particulier aux produits à destination de la grande distribution et, avec l’explosion du e-commerce, des particuliers.
Comme il est inenvisageable de multiplier à l’infini les infrastructures de transfert du rail vers la route et d’arrêter les convois de fret à tout bout de champ, l’acheminement vers les points de distribution ou la livraison au client final se fera nécessairement par la route, à partir de plateformes multimodales à vocation régionale ou métropolitaine dans les grandes agglomérations. A supposer que l’on parvienne à
Si l’on veut éviter de surdimensionner les infrastructures logistiques locales (centres de distribution urbaine, entrepôts urbains…) et faire respecter les limitations d’accès aux hyper-centres pour les véhicules thermiques, les collectivités et les transporteurs vont plus que jamais devoir miser sur des solutions technologiques permettant de :
C’est à ces conditions – très exigeantes en termes d’investissements, mais aussi de collaboration entre les acteurs et de partage de l’information – que la relance du fret ferroviaire aura un impact sur la
(1) Le 23 juin 2020, lors de la conférence d’ouverture de la SiTL 2020.